Jeudi
10 juillet 2025

Récit de voyage : De Saint-Bertrand-de-Comminges
à Aínsa, via Roda de Isábena
8h30,
quelque part sur le plan de Saint-Bertrand. Cinq voitures s’apprêtent à
prendre la route. Aujourd’hui, nous partons rendre visite à nos amis les
Ibères, ce peuple espagnol chaleureux installé de l’autre côté de la
frontière — plus précisément à Roda de Isábena.
Le convoi s’ébranle. Environ cent kilomètres nous
attendent, à travers le versant nord des Pyrénées. La montagne est
éclatante de verdure, baignée par les eaux généreuses de la Garonne.
Aucun signe de sécheresse : les prairies sont grasses, les arbres
foisonnants. Nous progressons paisiblement jusqu’au tunnel de Vielha.
À la sortie, tout change. La lumière, la chaleur,
la nature même. Sur le versant sud, en direction de Roda de Isábena, la
végétation s’appauvrit, le sol devient pierreux, presque aride. Le
relief alterne entre crêtes sèches et vallées encore verdoyantes.
Le contraste est saisissant. En longeant les gorges de la Noguera
Ribagorzana, nous devinons l’âpreté du climat et la rudesse du terrain.
Roda surgit, juchée fièrement sur son promontoire
rocheux. Majestueuse et discrète à la fois. La circulation y est
interdite : nous laissons les voitures à l’entrée du village et
poursuivons à pied.
Les
ruelles sont étroites, bordées de maisons en pierre taillée. L’ombre
qu’elles offrent est salvatrice. À l’extérieur, le thermomètre flirte
avec les 33 °C. À l’intérieur du bourg, une fraîcheur presque monacale
nous enveloppe. On marche lentement, on observe, on écoute le silence.
À 11h, comme convenu, nous avons rendez-vous
devant la cathédrale. Notre guide nous attend. Comme annoncé, elle ne
parle que la langue locale. Le français n’est pas au programme. Pour
ceux d’entre nous qui disposent de quelques bases en espagnol, la
rapidité de son débit rend la compréhension difficile, voire impossible.
Malgré cette légère frustration, le groupe garde
sa bonne humeur. Très vite, nous tombons sous le charme de l’intérieur
de cette cathédrale, considérée comme la plus ancienne et la plus petite
d’Espagne. Ce beau village médiéval a été jumelé avec
Saint-Bertrand-de-Comminges en 2016 : un édifice saisissant, qui mêle
harmonieusement les lignes romanes aux prémices du style gothique . Sous
nos pieds, une crypte soutenue par une douzaine de colonnes fluettes
ajoute une touche mystique à l’ensemble.
L’espace intérieur impressionne par son volume.
Les murs sont ornés de nombreux tableaux polychromes, aux couleurs vives
malgré les siècles, rehaussés par une restauration récente. Pendant
trois quarts d’heure, nous déambulons silencieusement dans cette nef
majestueuse, portés par la beauté sobre et puissante du lieu... et par
le débit verbal de notre guide.
Puis, elle nous mène vers une porte discrète.
Derrière, se cache le cloître. Charmant, certes, mais sans réelle
particularité : un carré de calme, de pierre et de lumière.



Il
est midi. Nous avons rendez-vous à 13h au réfectoire du monastère, où un
déjeuner a été réservé pour notre groupe. En attendant, nous profitons
de l’heure libre pour flâner dans le village. Nous découvrons une petite
exposition-musée consacrée aux objets agraires du début du XXe siècle :
herses, charrues, outils de menuiserie, et autres trésors du quotidien
d’antan. Une véritable caverne rurale. Chaque pièce semble raconter une
histoire oubliée — un univers inattendu au cœur de ce petit village
médiéval.
Un peu avant 13h, nous remontons vers le
monastère, non sans faire une halte bienvenue dans un bar, où les voûtes
nous procurent un avant-goût de la fraîcheur de notre boisson.
L’apéritif est simple, frais, et bien mérité. Il nous aide à supporter
la chaleur écrasante de cette journée d’été, juste avant de passer à
table.
Nous nous présentons devant le réfectoire. Et là,
surprise : le lieu n’a de « réfectoire » que le nom. Dès que nous
franchissons les portes, nous découvrons une vaste salle majestueuse,
baignée d’une lumière douce. La hauteur sous voûte impressionne. Les
murs, sobres mais élégamment ornés de décorations médiévales, évoquent
un calme monastique, presque hors du temps.
L’atmosphère qui s’en dégage est empreinte de
sérénité. Des tables sont disposées dans la salle, et certaines ont été
spécialement regroupées pour notre groupe d’une vingtaine de personnes.
Nous sommes chaleureusement accueillis par de
jeunes serveuses, probablement étudiantes en hôtellerie. Leur
bienveillance, leur efficacité et leur discrétion sont remarquables.
Toujours souriantes, toujours disponibles, elles font des efforts pour
surmonter le barrage de la langue, et semblent anticiper nos besoins
avec naturel.
Nous prenons place. Le repas débute avec une
entrée haute en couleur : une assiette généreuse mêlant sept variétés de
charcuterie et des légumes du jardin, le tout accompagné d’un rosé
espagnol léger et rafraîchissant. Suit un plat principal à base de
saucisse aux légumes, savoureux, rustique mais raffiné. Le repas se
conclut sur un dessert simple mais délicieux, avant un café qui scelle
ce moment de convivialité.

L’ambiance est paisible. Ce qui nous étonne,
c’est que, bien que la salle se remplisse progressivement — jusqu’à
accueillir près de soixante personnes —, aucun brouhaha ne vient
troubler les conversations. Les voix restent claires, distinctes, jamais
envahissantes.
Peut-être est-ce la hauteur des voûtes qui
confère à la pièce une acoustique si particulière ? Quoi qu’il en soit,
l’expérience est agréable : un repas partagé dans l’harmonie d’un lieu
chargé d’histoire.



Après ce repas paisible, nous quittons lentement
la salle du réfectoire, le cœur léger et les esprits apaisés.
L’après-midi s’annonce encore chaude, mais l’ombre des ruelles de Roda
nous accompagne jusqu’à l’entrée du village.
Nous rejoignons tranquillement les voitures.
Chacun reprend place, le visage encore empreint de ce déjeuner inattendu
dans un lieu aussi singulier.
Le convoi reprend la route, cette fois en
direction d’Aínsa .Les paysages défilent à nouveau : secs, lumineux,
puissants — une région très variée et spectaculaire des pré-Pyrénées
aragonaises, entre moyenne montagne, vallées profondes, forêts et
formations géologiques impressionnantes.
Le soleil est au zénith, tandis que la silhouette
d’Aínsa, perchée elle aussi sur un promontoire, commence à se dessiner à
l’horizon. Un autre village, une autre histoire, un autre rythme.

Nous arrivons à Aínsa en début d’après-midi. La
chaleur semble avoir gagné en intensité, mais cela ne freine en rien
notre curiosité. La vieille ville, juchée sur sa colline, nous accueille
avec ses remparts de pierre ocre, ses ruelles pavées et son allure
médiévale inchangée depuis des siècles. L’air est sec, mais la lumière
dorée confère à l’ensemble une ambiance presque cinématographique,
rehaussée par les étals de quelques artisans d’art exposant leurs
créations.
En passant la porte de la vieille ville, nous
sommes immédiatement saisis par la beauté brute du lieu. Aínsa semble
figée hors du temps. Les façades de pierre, les fenêtres étroites, les
arcs anciens... tout respire la mémoire.
La grande place centrale, bordée d’arcades et de
cafés, s’ouvre comme une scène silencieuse. Nous la traversons
lentement, happés par son élégance simple. Quelques touristes flânent,
le tout dans un calme étonnant — il faut dire que les boutiques
n’ouvrent pas avant 16h.
Certains s’installent en terrasse pour un
rafraîchissement bien mérité, tandis que d’autres préfèrent explorer les
venelles adjacentes, découvrir la collégiale, ou simplement s’attarder
sur les détails d’une moulure, d’un balcon fleuri, d’une pierre
gravée... Ou contempler le vert émeraude de la retenue d’eau en aval
d’Aínsa, sur la rivière Cinca.
Cette retenue artificielle, construite dans les
années 1960, a submergé le village de Mediano, dont on voit encore le
clocher roman émerger des eaux à certains moment. Ici, le temps semble
suspendu.


Il est 18h lorsque nous regagnons les voitures.
Un dernier regard vers la place silencieuse, les montagnes à l’horizon,
et déjà nous reprenons la route, le cœur encore empreint des beautés de
la journée.


Nous empruntons à nouveau le chemin vers le
nord,. Les paysages se parent maintenant de nouvelles teintes. Le tunnel
de Bielsa, toujours aussi impressionnant, marque le passage entre deux
mondes : celui du sud, sec, aride, minéral… et celui du nord, verdoyant,
humide, presque familier.À la sortie, un souffle plus frais nous
accueille (16 °C) — l’air vif des Hautes-Pyrénées. Et là, un izard se
tient, figé au milieu de la route, tel un gardien secret de ces
montagnes. Les passagers de la première voiture, surpris, doutent de la
réalité de cette apparition. Puis, en deux ou trois bonds gracieux, le
bovidé disparaît, emportant avec lui un souffle fugace de mystère.
Les vallées se succèdent, paisibles. On devine,
dans le silence du groupe, une douce fatigue mêlée de satisfaction. Les
conversations se font rares, contemplatives. Chacun semble repasser
intérieurement les images de cette journée : les pierres anciennes, la
cathédrale de Roda, la chaleur du cloître, le repas partagé, la beauté
d’Aínsa…
Nous retrouvons Saint-Bertrand-de-Comminges dans
la lumière rasante du soir. La boucle est bouclée. Une journée dense,
simple et précieuse, comme seuls les voyages en terres anciennes savent
en offrir.